Sous ses manières affables, Jacques Crahay cacherait-il une âme de révolutionnaire? Un révolutionnaire non violent, en tout cas. Pour que l’innovation imprègne chaque dimension de l’entreprise, il teste le codéveloppement dans son entreprise, Cosucra.

L’ancienne sucrerie de Warcoing, fondée en 1852, ne produit plus de sucre depuis 2003. Elle fabrique désormais des ingrédients naturels pour l’industrie alimentaire. Son CEO, Jacques Crahay, a lancé un processus de management collaboratif qui devrait faire fleurir l’innovation.

Pour Jacques Crahay, l’innovation est un « état d’esprit collectif, rarement la vision d’une seule personne ». À ses yeux, l’environnement doit se montrer propice, notamment à travers « une organisation humaine qui libère l’esprit et favorise l’intelligence et le travail collectifs, et presque la divagation, car il s’agit de sortir des schémas de pensée habituels ». Vaste programme, qu’on pourrait croire abstrait. Pas chez Cosucra (250 employés), qui, après avoir fait naître une nouvelle industrie à partir des racines de chicorée et des pois, a instauré voici trois ans le management collaboratif.

« Un livre de Frédéric Laloux, Reinventing organizations, m’a ouvert les yeux », se souvient Jacques Crahay. « Tout comme les travaux de Gary Hamel. L’organisation pyramidale, avec une tête qui pense et une base qui exécute, avance rapidement mais étouffe l’innovation. Elle est rétive au changement, alors que le marché demande de plus en plus de personnalisation des produits. Plutôt que de créer des organisations matricielles et d’éliminer les silos, nous remettons tout à plat. Chacun est maître de son travail au sein de l’organisation, en lien avec les autres. Chacun s’approprie cette vision. »

Demo afbeelding - Vrouw met hoofdtelefoon
‘Pour innover, il faut aimer ce que l'on fait!’
Jacques Crahay CEO de Cosucra

Auto-réorganisation des services

Cela se traduit par exemple par l’initiative « Rêver son service ». Les volontaires d’un service choisissent de s’organiser en cellule, passent en revue les tâches de chacun, ce que chacun a envie de faire, ce qui est utile à l’entreprise. Puis chaque collaborateur assume les responsabilités qu’il souhaite. La cellule décide de ses actions, sans validation ni supervision.

Il existe à ce jour une douzaine de cellules au sein de Cosucra. « Le fait que chacun choisisse un rôle le libère, contrairement à une fiche de poste, qui ‘fige’ dans une fonction », reprend le CEO. « La seule contrainte, c’est que le service doit fonctionner. Dans cette configuration, tout le monde utilise ses talents différemment, ce qui permet aux capacités d’innovation de s’épanouir. On sait que la vraie motivation est purement intrinsèque, elle ne découle pas d’une gratification quelconque; pour innover, il faut aimer ce que l’on fait! »
Le dirigeant le reconnaît: cela implique parfois une marge d’incertitude et un inconfort. Mettre en place une telle révolution managériale est sans doute plus facile dans une entreprise familiale, « car si le comité de direction, le conseil d’administration et les actionnaires ne suivent pas, c’est l’échec assuré! Là, nous pouvons nous permettre d’expérimenter depuis trois ans. Nous sommes en plein cheminement. »

Jacques Crahay se dit tellement convaincu qu’il plaide pour la généralisation de ce management: « Le nouveau métier de l’entrepreneur est de créer les conditions pour que chacun ‘s’éclate’ dans son boulot. C’est encore plus indispensable avec l’arrivée des millennials. »

0%