Guerre des talents, différences générationnelles, automatisation et évolutions du marché du travail… De nombreuses organisations éprouvent de plus en plus de difficultés à conserver leurs collaborateurs. Entretien avec les spécialistes EY Hendrik Serruys et Dean Raymond Davey autour des tendances et des défis d’aujourd’hui et de demain.

La numérisation et l’automatisation bouleversent les entreprises. Chacune d’entre elles ou presque, quel que soit son secteur d’activité, se trouve au cœur d’un projet de transformation ou en prévoit un à court terme. Dans les années à venir apparaîtront des emplois et fonctions qui doivent encore être inventés. Et les compétences demandées aux collaborateurs sont elles aussi appelées à évoluer.

Pourquoi les entreprises doivent-elles également se concentrer sur l’aspect humain des changements lors d’un projet de transformation?

Dean Raymond Davey: “Pour maximiser les chances de réussite, il est crucial de préserver l’implication des talents avant et pendant le projet de transformation numérique. De quelles compétences avons-nous besoin? Comment les développer ou les affiner au mieux compte tenu de nos objectifs opérationnels? Et comment maintenir les collaborateurs impliqués dans tous ces changements? Ce ne sont que quelques-unes des questions primordiales sur lesquelles les entreprises doivent se pencher pour conserver leurs collaborateurs.”

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“La politique de rétention doit être complètement intégrée dans l’organisation.”
Hendrik Serruys People Advisory Services Partner chez EY

Dans ce contexte, une politique de rétention stratégique ne relève-t-elle que des ressources humaines?

Hendrik Serruys: “Absolument pas. Les entreprises doivent élargir leur regard. La transformation numérique a un impact sur l’ensemble de l’organisation. C’est pourquoi il faut déployer une politique de rétention sur mesure et complètement intégrée à l’organisation. Le département RH facilitera le changement, mais c’est surtout le management qui le portera et le transposera sur le terrain.”

Que peuvent faire les entreprises pour réduire la rotation du personnel?

Hendrik Serruys: “D’abord et avant tout, elles doivent identifier et analyser précisément les problèmes, les marges d’amélioration et les moteurs d’une augmentation de l’implication chez les collaborateurs. Nous remarquons que les entreprises se fient souvent à leur intuition lorsqu’elles élaborent un plan de rétention. Cela dit, des données objectives – sur la culture d’entreprise, l’environnement de travail, la formation et le développement, la planification des carrières, etc. – sont nécessaires pour pouvoir étudier la situation dans le détail. La politique de rétention doit être parfaitement adaptée aux besoins spécifiques de l’entreprise et de ses collaborateurs. Sa durabilité sera ainsi garantie.”

Comment les entreprises peuvent-elles concrètement renforcer leur politique de rétention en analysant des données?

Dean Raymond Davey: “L’un de mes clients était confronté à un fort turnover. L’entreprise a réalisé une enquête express auprès de ses collaborateurs afin de déterminer ce qu’elle pouvait améliorer. Première conclusion rapide: le package de rémunération était considéré comme insuffisant. Après avoir collecté des données sur tous les aspects de l’organisation, nous avons toutefois découvert que la rémunération n’était absolument pas la raison pour laquelle tant de collaborateurs la quittaient. En fait, ce départ était surtout imputable à la qualité du leadership.”
“Une fois identifié le problème de manière presque scientifique, on peut prendre des mesures ciblées. Or, dans ce domaine, il n’existe pas de solution prête à l’emploi: chaque entreprise est différente et a besoin d’une stratégie particulière pour sa politique de rétention.”

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“Un leadership inefficace est sans doute la principale raison pour laquelle des collaborateurs ne se sentent pas compris, estimés à leur juste valeur ou à leur place dans une entreprise.”
Dean Raymond Davey Workforce Advisory Lead chez EY

Quelle est l’influence du management sur la rétention?

Dean Raymond Davey: “Considérable! Un leadership inefficace est sans doute la principale raison pour laquelle des collaborateurs ne se sentent pas compris, estimés à leur juste valeur ou à leur place dans une entreprise. Quand des salariés se font porter pâles ou démissionnent pour cette raison, ils s’éloignent moins de l’entreprise que de leur manager. Les managers jouent également un rôle-clé dans la gestion des performances. Et le problème est fréquemment générationnel: un baby-boomer exige une approche différente d’un millennial, par exemple. C’est du sur-mesure.”

Autre défi en matière de rétention: les millennials changent parfois très vite d’employeur. Le remarquez-vous chez vos clients?

Hendrik Serruys: “Bien sûr. Il arrive que des millennials quittent une entreprise après six ou douze mois. C’est pourquoi le processus d’onboarding doit être adapté à la politique de rétention. En réalité, la politique de rétention commence dès la signature du contrat de travail. Pour favoriser l’implication de votre nouveau talent, vous devez faire en sorte qu’il s’approprie la culture de l’entreprise et les responsabilités qui lui sont confiées. Qu’il se sente chez lui au sein de l’équipe. Ce qui est vital pour réduire la rotation du personnel.”

On note des glissements sur le marché du travail. Les entreprises travaillent avec un nombre croissant de free-lances. Quel défi cela implique-t-il?

Dean Raymond Davey: “Nous constatons effectivement une augmentation du nombre de free-lances dans les médias, l’informatique et le conseil. Ce n’est pas sans risque. Moins il se sent lié à l’entreprise, plus il y a de chance que le talent décide subitement de travailler pour un autre client. Ce risque est particulièrement important pour les plus petites organisations. Imaginez que 40% de votre personnel se compose de free-lances: s’ils partent tous sans crier gare, la continuité de votre entreprise est en péril! L’entreprise doit donc y réfléchir en amont. Dans certains secteurs, nous nous dirigeons vers une gig economy. Or, un tel modèle exige lui aussi un modèle de rétention adapté.”

Comment entrevoyez-vous l’avenir? Quels sont les défis de demain en matière de rétention?

Hendrik Serruys: “L’évolution technologique est appelée à s’accélérer au cours des prochaines années. Le trajet de transformation d’une entreprise se mue ainsi en un processus continu; un travail qui n’est jamais terminé et qui évolue constamment. Il en va de même pour la politique de rétention, qui doit se greffer sur ce processus et donc évoluer avec lui. L’avenir s’annonce passionnant pour tout le monde.”

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